CHAPTER SEVENTEEN

Sixteenth Chapter (Version L, First Printed Version, Paris 1740)

1[315]

CHAPITRE XVI

De l’Attraction Newtonienne.

2§. 385.

3 Tous les Phénoménes que je viens de vous exposer dans les trois derniers Chapitres, sont opérés selon les Newtoniens par l’Attraction que tous le corps exercent les uns sur les autres.

4 Cette attraction est selon eux, une propriété donnée de Dieu à toute la matiére, par laquelle toutes ses parties tendent l’une vers l’autre en raison directe de leur masse, & en inverse du quarré de leurs distances.

5 §. 386. On trouve le germe de cette idée dans [316]Kepler, la façon dont il s’exprime dans l’introduction du Livre où il traite de la Planette de Mars, est trop remarquable, pour ne pas rapporter ici les termes dont il se sert.

6 Si duo lapides in aliquo* loco mundi collocarentur propinqui invicem, extra orbem virtutis tertii cognati corporis, illi lapides ad similitudinem duorum Magnetum coïrent loco intermedio, quilibet accedens ad alterum tanto intervallo, quanta est alterius moles in comparatione.

7 Si terra & luna retinerentur vi animali, aut aliâ aliquâ æquipoltenti qualibet, in suo cicuitu, terra ascenderet ad lunam quinquagesimâ quartâ parte intervalli, luna descenderet ad terram quinquaginta tribus circiter partibus intervalli, ibique jungerentur. Posito tamen quod substantia utriusque sit unius & ejusdem densitatis. [317]

8 §. 387. Kepler n’est pas le seul qui ait parlé de l’attraction. Frenicle, un des premiers Académiciens des Sciences la concevoit comme une force mise par le Créateur dans son Ouvrage pour le conserver; & Roberval la définissoit: Vim quandam corporibus insitam qua partes illius in unum coïre affectent.

9 §. 388. Il est certain, que si on accorde aux Newtoniens cette supposition d’une attraction répandue dans toutes les parties de la matiére, ils expliquent merveilleusement par cette attraction les Phénoménes astronomiques, la chute des corps, le flux & le reflux de la mer, les effets de la lumière, la cohésion des corps, les opérations chimiques; & que presque tous les effets naturels deviennent une suite de cette force que l’on suppose répandue dans toute la matiére, quand on l’a une fois admise: ainsi, dans ce sistême, la terre & la lune tournent autour du Soleil, parce que le Soleil les attire l’une & l’autre; mais la terre ayant plus de masse que la lune, & étant beaucoup plus près de cette Planette, que le Soleil, force la lune à tourner autour d’elle, par la supériorité de son attraction.

10 Toute les irrégularités de la lune dans son cours, sont une suite palpable de la combinaison de l’attraction du Soleil & de la terre sur la lune; car l’énergie de cette attraction va-[318]riant avec les positions des corps qui s’attirent, elle doit changer continuellement la courbe que la lune décrit autour de la terre, puisque cette Planette s’approche & s’éloigne successivement de la terre, & du soleil.

11 L’attraction étant regardée par quelques Newtoniens comme une proprieté essentielle de la matiére, elle est toujours supposée reciproque: ainsi, la terre en gravitant vers le Soleil, fait graviter le Soleil vers elle, & le Soleil & la terre s’attirent réciproquement l’un l’autre en raison directe de leurs masses; mais ils s’avancent l’un vers l’autre en raison inverse de ces mêmes masses, & le chemin que la terre fait vers le Soleil, est au chemin que le Soleil fait vers la terre dans le même tems par cette seule attraction, comme la masse du Soleil est à la masse de la terre, de même, la terre en forçant la Lune à tourner autour d’elle par la supériorité de son attraction, obéit elle-même à l’attraction que la Lune exerce sur elle; cette attraction de la Lune altére beaucoup la courbe que la terre décrit en tournant autour du Soleil, elle est cause en partie des marées auxquelles l’attraction du Soleil contribue aussi d’une quantité déterminée.

12 C’est par la même raison que la terre va plus lentement, quand elle est dans le signe des possions, parce qu’étant alors plus près des Planetes de Mars & de Vénus, les attractions que ces deux Planettes exercent sur elle, contre-[319]balancent en partie celle du soleil, & retardent par conséquent le chemin de la terre vers cet astre.

13 Les Cometes elles-mêmes trouvent leur route toute tracée par cette attraction; & M. Newton ayant calculé selon ce principe, lorsque la Comete de 1680. parut, le chemin qu’elle devoit faire, eut la satisfaction de la voir répondre chaque jour aux points qu’il avoit marqués.

14 Les altérations que Jupiter, & Saturne, reçoivent dans leurs cours, sont encore un effet calculé de cette attraction; car lorsque ces deux puissantes Planettes se trouvent en conjonction, leur cours subit les changemens qui doivent résulter de leur attraction mutuelle; cette conjonction qui arrive rarement à cause du tems que ces deux énormes Globes mettent à faire leur révolution dans leur orbe, arriva du tems de M. Newton, & il les vit éprouver d’une façon sensible, les dérangemens qu’il avoit prévus & calculés.

15 Tous les Phénoménes astronomiques enfin qui paroissent presqu’inexplicables dans le sistême des tourbillons, ne semblent être que des corollaires nécessaires de l’attraction universelle répandue dans la matiére, car non-seulement cette attraction fait voir pourquoi une Planette tourne autour d’une autre, pourquoi la terre, par exemple, tourne autour de la terre; mais elle fait voir aussi en combien de tems elle y[320] doit tourner, & l’on prendroit sur cela les calculs pour des observations tant ils se rapportent ensemble.

16 §. 389. Ce principe si fécond dans l’Astronomie, ne l’est pas moins dans la plûpart des effets qui s’opérent ici-bas, la pésanteur & la chute des corps vers la terre, l’aplatissement de la terre vers les poles, & son élevation à l’équateur se déduisent aussi merveilleusement bien de l’attraction en raison renversée du quarré des distances.

17 Les Newtoniens qui font de l’attraction une propriété inseparable de la matiére, la veulent faire régner par tout, mais quand ils veulent expliquer par son moyen, la cohésion des corps, les effets chimiques, les Phénoménes de la lumiere, &c. ils sont obligés de supposer d’autres loix d’attraction, que celle qui dirige le cours des Astres, & qui agit en raison double inverse des distances.

18 M. Newton en calculant les effets qui doivent résulter des différentes loix possibles d’attraction, a trouvé & démontré: que si l’attraction, qu’un corps éprouve dans le contact est beaucoup plus forte que celle qu’il éprouve à toute distance finie, cette attraction décroît dans une plus grande raison que celle du quarré des distances; & vice versa.

19 Les Disciples de M. Newton, dont la plûpart ont poussé leurs conjectures beaucoup plus [321]loin que lui en bien des choses ont conclu de ce théoréme, que puisque l’on ne peut attribuer selon eux, ces Phénoménes à aucun fluide ambiant, ni aux mouvements conspirans des parties des corps, ni à aucune cause externe, il falloit qu’il y eût entre les parties de ces corps une force interne capable de les tenir unies ensemble; & que puisque cette force augmente à un tel point dans la contact qu’il devient sensible, & que les corps ne peuvent plus alors être séparés qu’avec peine, il falloit que l’attraction qu’ils éxercent alors l’un sur l’autre, décrut dans une plus grande raison, que celle du quarré des distances.

20 On pourroit nier premierement cette conclusion précipitée; qu’aucun fluide ambiant, ni les mouvemens conspirans des parties des corps ne peuvent être la cause deces Phénoménes; mais je ne m’engagerai pas ici dans le détail des Phénoménes & de leurs causes méchaniques; mon but étant seulement de vous faire voir en général, comment les Newtoniens prétendent expliquer ces Phénoménes par l’attraction, & quelles sont les raisons qui doivent faire rejetter cette attraction, lorsqu’on la donne pour cause.

21 Les Newtoniens expliquent par cette attraction qu’ils supposent agir au moins en raison du cube des distances, & qui est si puissante dans le contact, presque tous les Phénomémens qui nous entourent: ainsi, disent-ils, si les par[322]ties des corps cohérent ensemble, c’est que se touchant par plusieurs points de leur surface, l’attraction en raison des cubes, qui seule agit alors entr’elles d’une façon sensible, les attache fortement l’une à l’autre. Ainsi, les différentes cohésions, la dureté, la molesse, la fluidité, dépendent des différens dégrés de contact des parties qui composent les corps: voilà pourquoi la poix ou quelqu’autre matiére gluante mise entre deux corps, remplissant les interstices qui se trouvent entre leurs parties, & unissant leur surface, augmente leur cohésion.

22 C’est cette attraction qui fait que toutes les goutes des fluides ont la forme sphérique, & qu’elles s’aplatissent du côté par lequel elles touchent le suport qui les soutient, & qu’elles s’aplatissent plus ou moins selon que ce suport est plus ou moins attirant, c’est à dire, selon qu’il est plus ou moins dense; & que les parties du fluide qui compose ces goutes, s’attirent plus ou moins fortement l’une l’autre; c’est par la même raison que la surface de l’eau contenu dans un vase est concave, & que celle du mercure y est convexe; car les parties de l’eau s’attirant moins fortement l’une l’autre, que les bords du vase ne les attirent, s’élevent vers ces bords; mais il arrive le contraire au mercure par la raison contraire.

23 L’ascension de l’eau dans les tubes capillaires, si difficile à expliquer dans les détails par la pression d’une matiére subtile, est une suite de [323] l’attraction des parties du tube, plus puissante sur l’eau, que l’attraction mutuelle que les parties de l’eau exercent les unes sur les autres; mais le mercure au contraire, ne monte jamais dans les tubes capillaires, à cause de la densité de ses parties, dont l’attraction mutuelle est supérieure à celle du verre: c’est encore, selon eux, par ce même principe que l’huile monte dans le coton d’une lampe, que l’encre s’attache à ma plume, que la séve circule dans les plantes, &c.

24 La réfraction, & même la réfléxion de la lumière dans de certaines circonstances dépendent aussi, selon les Newtoniens, de cette attraction, en raison inverse du cube des distances: ainsi, le rayon se brise d’autant plus que le milieu qu’il traverse est plus dense, parce que ce milieu l’attire d’autant plus fortement, qu’il est plus dense; le rayon se réfléchit à une certaine obliquité d’incidence, en passant du cristal dans l’air, parce qu’à une certaine obliquité, l’attraction du cristal sur le rayon est plus puissante que son mouvement vertical, par lequel, il tend à pénétrer le cristal; le rayon s’infléchit en passant près des bords des corps, parce qu’à une très petite distance les corps l’attirent sensiblement: enfin, le prisme sépare les différens rayons, parce qu’il les attire chacun différemment.

25 Les fermentations, les cristallisations, les dissolutions, les effervescences, tous les effets [324] chimiques enfin, sont aussi soumis à cette attraction si puissante dans le contact; & Mr. Freind, célèbre Anglois a donné une chimie qui est entiére fondée sur ce principe, mais comme les effets chimiques sont infiniment compliqués, on est obligé de supposer souvent des loix nouvelles d’attraction, quand celles de cubes n’est pas suffisante pour le détail des explications: ainsi, l’on est obligé de faire varier les loix à mesure que les Phénoménes varient.

26 §. 390. Quelques Newtoniens sentant l’inconvenient de suposer ainsi des loix d’attraction selon les besoins, & à combien de reproches cette facilité de créer de nouvelles loix de la nature pour chaque effet, les exposoit, ont imaginé d’expliquer tous les Phénoménes tant célestes que terrestres, par une seule & même attraction, qui agit comme une quantité algebrique a/xx + b/x3+ &c. x marquant la distance, c’est-à-dire, (car vous n’entendez pas encore cette langue) comme le quarré, plus le cube, plus, &c. à des distances éloignées, comme, par exemple, à celle des Planetes; la partie de l’attraction qui agit comme le cube, est presque nulle, & ne dérange qu’infiniment peu l’autre partie de l’attraction, qui agit comme le quarré, & d’où dépend l’éllipticité des orbites (§. 348.)

27 Mais à des distances très-petites, & dans le [325] contact des corps, la partie de l’attraction qui agit en raison du cube, ou d’une plus grande puissance devient à son tour très-forte, par rapport à l’autre, qui est alors presqu’insensible.

28 Cette explication est assurément très-ingénieuse, & prévient bien des objections & des reproches que l’on pourroit faire aux Partisans trop zélés de l’attraction.

29 §. 391. M. Keill, a mis à la fin de son Introductio ad veram Astronomiam, plusiers propositions, par le moyen desquelles il prétend que l’on pourroit déduire géometriquement la plûpart des Phénoménes de cette attraction si puissante dans le contact.

30 Selon ces propostitions, non-seulement la cohésion & les effets chimiques sont des suites de l’attraction; mais le ressort des corps & les Phénoménes de l’électricité s’y trouvent aussi soumis.

31 M. Keill, frere de celui dont je viens de parler, a fait un traité de la sécretion animale, qu’il explique aussi par l’attraction.

32 On trouve la source de toutes ces applications de l’attraction dans les questions de M. Newton a mis à la fin de son optique. Les disciples de ce grand homme ont cru que ses doutes même pouvoient servir de fondement à leurs hypothèses: il faut avouer que quelques-unes de ces hypothèses sont un peu forcées, & qu’il y a bien de la différence pour la justesse & la pré-[326]cision entre les applications que l’on fait de l’attraction aux Phénoménes célestes, & l’usage que l’on en fait dans les autres effets dont je viens de parler; aussi cet usage de l’attraction n’est-il pas aussi universellement reçu par les Newtoniens mêmes, que celui que l’on fait pour l’explication des Phénoménes astronomiques.

33 §. 392. M. de Maupertuis est de tous les Philosophes François, celui qui a poussé le plus ses recherches sur l’attraction; il donna en 1732., à l’Académie des Sciences un Mémoire, dans lequel il recherche la raison de la préférence, que le Créateur a donné à la loi d’attraction, en raison inverse du quarré des distances, qui a lieu dans les Phénoménes astronomiques, & dans la chute des corps, sur les autres loix possibles, qui semblent avoir eu un droit égal á être employées; & il trouve par son calcul, que de toutes les loix qu’il a examinées, il n’y a que celle en raison inverse du quarré des distances qui donne la même attraction pour le tout & pour les parties qui le composent, & qui joigne à cet avantage celui de la diminution des effets avec l’éloignement des causes; ces deux avantages de l’uniformité & de l’analogie, ont paru à M. de Maupertuis pouvoir être les raisons qui ont déterminé le Créateur à choisir la loi d’attraction, en raison inverse du quarré des distances, par préférence à toutes les autres loix qu’il a parcourues.

34 §. 393. La considération des effets qui doivent résulter de la loi d’attraction, en raison, double inverse des distances, telle qu’elle a lieu dans la nature, selon les Newtoniens, fait découvrir un Phénoméne bien singulier, c’est que selon cette loi, dans l’interieur d’une Sphére creuse, il pourroit y avoir dans l’hipothese de l’attraction en raison double inverse des distances, un monde destitué des Phénoménes de la pesanteur, & dont les habitans iroient en tout sens avec une égale facilité; car dans la concavité d’une surface sphérique, les parties de cette surface qui agissent sur le corpuscule placé dans un point quelconque de la concavité, ont toujours des actions égales, la partie la plus étroite exerçant sur le corpuscule, à raison de la plus grande proximité, une attraction, qui contrebalance celle qui est exercée par la plus large, ces deux choses, la distance du corpuscule, & la longueur de la surface sphérique qui agit sur lui, croissant toujours en même proportion dans cette loi. Ainsi, selon ce sistême, dans une Sphére concave les corps ne seroient point pésans, mais ils s’attireroient l’un l’autre d’une façon très-sensible, puisque leur attraction mutuelle ne seroit point absorbée comme ici-bas, par une attraction plus puissante.

35 La Mémoire de M. de Maupertuis, dont je viens de parler est comme tout ce que fait ce Philosophe, plein de sagacité & de finesse de [328] calcul, il n’y donne son opinion sur la raison de préférence de la loi inverse des quarrés sur toutes les autres, que comme un doute, mais ce sont assurément les doutes d’un grand homme.

36 §. 394. Si ce Philosophe avant de rechercher la raison de préférence d’une loi d’attraction sur une autre, avoit recherché la raison suffisante de l’attraction elle-même, il est vraisemblable qu’il auroit bien-tôt reconnu que cette attraction, telle que les Newtoniens la proposent, c’est-à-dire, en tant qu’on en fait une proprieté de la matiére, & la cause de la plûpart des Phénoménes, est inadmissible; car selon les principes de M. de Maupertuis même, s’il y a eu une raison de préférence pour la loi d’attraction que Dieu a employée, il y en doit avoir eu une pour l’attraction elle-même.

37 §. 395. Ce principe de la raison suffisante auquel vous avez vû dans le Chapitre premier qu’il est impossible de renoncer, détruit ce Palais enchanté fondé sur l’attraction; car soit le corps A. qui soit attiré par le corps B. selon une certaine loi à travers le vuide BA. le corps A. s’approchera du corps B. dans la direction AB. avec une vîtesse à tout moment accelerée, l’état du corps A. lorsqu’il se meut avec cette vîtesse accelerée, & dans une direction déterminée, est assurément différent de l’état précédent, c’est-à-[329]dire, de l’état de repos, dans lequel il étoit avant d’être transporté dans la Sphére d’activité du corps B. car le corps mû ne peut être substitué, sauf toutes les déterminations, à la place du corps en repos; il est donc arrivé un changement dans le corps A. ce changement a eu sa raison: ainsi, il faut chercher cette raison, ou dans le corps mû, ou hors de lui, & dans les Etres extérieurs qui agissent sur lui.

38 Cette raison n’est point dans ce corps, car ce corps A. qui étoit d’abord en repos, ne pouvoit se mouvoir de lui-même, ni se donner une certaine vîtesse & une certaine direction, étant par sa nature indifférent au mouvement, & au repos, & à toutes les directions & les vîtesses.

39 Cette raison n’est pas non plus hors de lui, car l’espace AB. étant vuide par supposition, & les Newtoniens excluant toute matiére subtile intermediaire, ou émanante du corps B. vers le corps A. il n’entre rien dans le corps A. qui soit parti du corps B. par où on puisse expliquer le changement qui s’est fait dans le corps A. Par consequent ce corps A. n’a rien perdu, & n’a rien reçu, puisque rien n’y est entré, & que rien n’en est sorti, & que toutes ses déterminations internes sont les mêmes, que lorsqu’il étoit en repos: cependant il est arrivé un changement dans ce corps A. Ainsi, il faut dire, que ce changement n’a point eu de raison suffisante, & le Créateur même ne pourroit point[330] dire, (dans cette supposition) si un corps qui est en repos, se mouvra, & selon quelle loi, en ne jugeant que sur ce qu’il peut voir & connoître dans ce corps même, & en faisant abstraction du corps attirant & ne voyant que le corps attiré, & ce qui agit immédiatement sur lui; car on juge des changemens d’un corps, par le changement de ses déterminations internes, par ce qui survient de mutable à ce corps, qui fait que son état présent est différent de celui qui l’a précedé. Ce sont là les données du problême, par le moyen desquelles il faut aller à ce que l’on cherche: or, on peut dire que dans le sistême de l’attraction, Dieu même ne pourroit résoudre ce problême; car toutes les déterminations du corps demeurant parfaitement les mêmes, & aucune altération ne pouvant y survenir du dehors, ils est absolument impossible, même à Dieu, l’unique fondement de prédiction étant ôté, de dire si ce corps doit se mouvoir, ou non, & quelle loi il suivra dans son mouvement.

40 §. 396. On ne peut dire que Dieu pourroit connoître ce qui arriveroit au corps dans la supposition présente, en ce que l’attraction que l’on suppose, étant une propriété appartenante à toute la matiére, Dieu a pû prévoir ce qui doit arriver en conséquence de cette propriété; car l’attraction fait mouvoir les corps avec une certaine vîtesse, & selon une certaine direction:[331] or, cette direction, ni cette vîtesse ne sont point nécessaires, puisque cette attraction dirige ici-bas les corps graves vers le centre de la terre, & que dans la Lune, elles les fait tendre vers le centre de la Lune, & dans les autres Planetes vers les centres de ces Planetes, & qu’elle les y fait arriver plus ou moins vîte, selon la masse & le diametre de ces Planetes, comme M. Newton l’a fait voir.

41 Donc par la seule considération d’un corps, & de ce qui agit immédiatement sur lui, Dieu même ne pourroit prévoir quelle seroit en vertu de son attraction, sa direction, ni sa vîtesse, puisque cette vîtesse est différente dans les différentes Planetes, & diversement altérée dans la même Planete, suivant les différens éloignemens du corps au centre de cette Planete: or, la direction & l’accélération d’où résulte le degré de vîtesse étant variables, & la cause que l’on leur assigne, c’est-à-dire, l’attraction ne pouvant rendre raison de l’un ni de l’autre, il suit clairement que cette cause n’est point une cause recevable, puisqu’elle ne contient rien par où un Etre intelligent puisse comprendre pourquoi la vîtesse & la direction qui sont ici les déterminations de l’Etre qu’on considére, son plûtôt telles que tout autrement; car c’est elle seul qui distingue une cause suffisante d’une cause insuffisante (v. chap. Ir. §9. & 10. )

42 Il suit de tout ce qu’on vient de dire, que puisque la direction & la vîtesse qui résultent [332] de l’attraction sont variables, l’attraction n’est point une propriété de la matiére; car les propriétés étant fondées dans l’essence sont nécessaires comme elle, (v. ch. 3) or le nécessaire ne peut-être possible que d’une seule maniére; de plus l’attraction ne découle point de l’essence de la matiére; ainsi, elle ne peut point être, non plus que la pensée, un attribut donné de Dieu à la matiére; car on a vu dans le ch. 3 que les propriétés sont incommunicables, & ne peuvent point être transplantées dans les sujets par la simple volonté de Dieu, étant absolument contraire au principe de la raison suffisante que les essences soient arbitraires: or, puisque l’attraction ne peut point être essentielle à la matiére, qu’elle ne découle point de son essence, il s’ensuit que Dieu n’a pu lui donner cette propriété.

43 §. 397. On ne peut donc se dispenser de reconnoître, que l’attraction, si on entend par ce mot autre chose qu’un Phénoméne, dont on cherche la cause, seroit absolument sans raison suffisante.

44 §. 398. Puisque tout ce qui est, doit avoir une raison suffisante pourquoi il est ainsi plûtôt qu’autrement, la direction & la vîtesse imprimées par l’attraction, doivent donc trouver leur raison sufissante dans une cause externe, dans une matiére qui choque le corps, que l’on regarde comme attiré, & qui détermine par son action [333] la direction & la vîtesse de ce corps, auquel ces déterminations sont indifférentes par lui-même. Ainsi, il faut chercher par les loix de la Mécanique une matiére capable par son mouvement de produire les effets que l’on attirbue à l’attraction.

45§ 399. De sçavoir si celle que Messieurs Descartes, Hughens, & autres ont suppose, suffit pour satisfaire à tous les Phénoménes, c’est encore un problême; mais quand même aucune de ces matiéres n’y satisferoit, la vérité n’en souffriroit rien, & il n’en sera pas moins constant que tous ces effets doivent être opérés par des causes méchaniques, c’est-à-dire, par la matiére, & le mouvement.

46 Un défaut dans lequel quelques Anglois trop zélés pour l’attraction, sont tombés, c’est de faire de toutes les objections contre les tourbillons des démonstrations en leur faveur. Ainsi, quand ils ont détruit quelques-unes des explications méchaniques que l’on a tâché de donner aux Phénoménes qu’ils attribuent à l’attraction, ils en concluent, qu’il faut donc attribuer tous ces effets à l’attraction de toute la matiére; mais cette conclusion n’est nullement légitime; car c’est faire un saut dans le raisonnement, ce qui n’est pas permis en bonne logique.

47 Je ne vous parlerai point des observations que Monsieur Bouguer vient de faire dans la Montagne de Simbolasso au Perou, sur le fil à plomb des Instrumens Astronomiques, [334] car n’étant point données encore au Public, on n’en peut rien sçavoir, sinon que M. Bouguer a crû appercevoir d’une maniére sensible une déviation dans la direction du fil à plomb de son Quart de cercle, & qu’il a attribué ce dérangement à l’attraction: mais la justesse de cette expérience dépend des plus petites différences, suivant M. Bouguer même; il peut s’y mêler des circonstances étrangéres, qui doivent se dérober à l’exactitude, & à la perspicacité de l’observateur, en un mot M. Bouguer ne propose point ses observations comme absolument décisives, ils les donne pour avertir qu’on les répete, & qu’on fasse attention aux erreurs qui pourroient peut-être retomber de ce côte-là, sur la mesure de la terre; mais quand même cette observation seroit hors de tout doute, il resteroit encore à examiner, si quelque matiére subtile n’est point la cause de ce Phénoméne; car rien n’est moins concluant en faveur de l’attraction, que de faire voir que telle ou telle explication méchanique d’un Phénoméne ne peut subsister: il viendra peut-être un tems où l’on expliquera en détail les directions, les mouvemens, & les combinaisons des fluides, qui opérent les Phénoménes, que les Newtoniens expliquent par l’attraction, & c’est une recherche dont tous les Physiciens doivent s’occuper.

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  • M: Les Phénomènes
  • Marginal summary: Ce que les Newtoniens entendent par l’attraction.
  • Not in M
  • Translation in footnote: Si deux pierres étoient placées dans quelque lieu, dans lequel aucun autre corps ne pût agir sur elles, elles viendroient l’une vers l’autre comme deux aimans, & se joindroient dans un lieu intermediaire; & le chemin qu’elles feroient l’une vers l’autre, seroit en raison renversée de leur masse. Si la lune & la terre n’étoient pas retenues dans leur orbe, par une ame agissante, ou par quelque force équivalente, la terre monteroit vers la lune environ jusqu’à la cinquante quatriéme partie de l’espace qui les sépare, la Lune descendroit vers la terre environ jusqu’à la cinquante troisiéme partie de cet espace, & là, elles se joindroient, supposé que leur densité soit la même.
  • Marginal summary: Comment l’attraction opére la chute des corps, & les Phénoménes astronomiques, quand on l’a une fois admise.
  • M: & qu’ils l’appliquent même avec assez de succès, aux effets de la lumière, à la cohésion, aux opérations chimiques, et qu’enfin
  • M: lorsqu’on l’a une fois admise
  • M: de l’attraction
  • M: la position
  • M: & elle
  • M: Cette même attraction fait voir pourquoi la Terre va plus lentement
  • M: car la terre
  • M: dont l’explication est si difficile
  • M: la Lune
  • Marginal summary: L’attraction produit aussi les effets chimiques, la cohésion des corps, &c.
  • Marginal summary: Mais alors elle décroit dans une plus grande raison, que celle des quarrés.
  • Not in M
  • Not in M
  • M: la cohésion des corps
  • M: qu’alors elle
  • Not in M
  • M: l’un sur l’autre dans le contact
  • M: Ce que je vous ai dît dans le Chapitre X sur la cohésion des corps, doit vous faire sentir la fausseté de cette supposition
  • M: de la cohésion
  • M: vous allez voir à présent comment les Newtoniens établissent la conclusion qu’ils en tirent, que la Cohérence des Corps est donc l’effet de l’attraction.
  • M: Cette attraction qui est supposée alors agir au moins en raison inverse du cube des distances, & qui est si puissante dans la contact, opère selon les Newtoniens la plupart des phénomènes qui nous entourent; ainsi, disent-ils, les différentes cohésions
  • Marginal summary: C’est cette attraction qui éleve l’eau dans les tubes capillaires.
  • Marginal summary: Les effets de la lumiére dépendent aussi de l’attraction selon les Newtoniens.
  • M: dans l’air
  • M: on fait
  • Not in M
  • Marginal summary: Usage que Messieurs Freind & Keill ont fait de ce principe d’attraction.
  • M: mais il faut
  • Not in M
  • M: l’on en fait dens l’explications des
  • M: Phénomènes astronomiques. Je ne vous dirai qu’un mot des observations que Mr. Bouguer vient de faire à la Montagne de Simbolasso au Perou, sur le fil à plomb des instrumens astronomiques, car ces observations n’étant point encore données au public, on n’en peut rien savoir de bien précis, on sait seulement que Mr. Bouguer à cru apercevoir une déviation sensible dans la direction du fil à plomb de son quart de cercle, & qu’il attribue cette déviation à l’attraction de la Montagne, mais la justesse de cette observation, dépendant des plus petites différences selon Mr. Bouguer même, ils est très possible qu’il s’y mêle des circonstances étrangères qui échapent à l’exactitude, & à la perspicacité de l’Observateur, aussi Mr. Bouguer ne propose-t-il pas cette observation comme décisive, il la donne sur-tout pour qu’on la répète; mais quand même elle seroit hors de doute, il resteroit à éxaminer, quelle espèce de matière subtile opère ce phènomène, & si on ne réussissoit pas à la découvrir, il n’en resteroit pas moins certains qu’une matière quelconque en est la cause, car aucun phènomène, quelque difficile qu’il soit à expliquer, ne doit nous faire abandonner les explications méchaniques, puisque les principes méchaniques sont les seuls qui puissent rendre nos explications intelligibles (§209.) This paragraph corresponds to section 399 in the 1740 edition.
  • Marginal summary: Idée de M. de Maupertuis, sur la loi qui fait l’attraction dans notre sistême planetaire.
  • Marginal note: Acad. des Sciences. 1732.
  • M: ont paru suffisans à Mr. de Maupertuis pour déterminer
  • M: que ce Philosophe
  • Marginal summary: Phénoméne singulier qui résulteroit de l’attraction en raison inverse du quarré des distances dans un Sphére concave.
  • Not in M
  • M: sa
  • M: largeur
  • M: dans la Loi d’attraction en raison doublée inverse des distances; ainsi, en suposant cette Loi, les Corps placés dans une sphère concave
  • M: loix
  • Not in M
  • Marginal summary: Le principe de la raison suffisante fait voir que l’attraction n’est qu’un Phénoméne.
  • Not in M
  • M: toutes les explications
  • M: l’attraction dont je vous ai parlé dans ce Chapitre;
  • Marginal note: Planche 6. Fig. 36.
  • M: certaine direction
  • M: de son état
  • M: ses
  • M: corps A
  • M: le
  • M: vîtesses §229.)
  • M: aucune matière ne pénètre dans ce corps & n’agit sur lui, ainsi toutes les déterminations internes de ce corps étant les mêmes que lorsqu’il étoit en repos, & aucune matière n’ayant agi sur la surperficie, il n’y a rien dans les corps A ni hors de lui, qui contienne la raison du changement qui s’est fait en lui, ainsi il faut avouer que ce changement s’est fait, sans raison suffisante, ce qui est absurde (§8)
  • Marginal note: Fig. 36
    M: Fig. 16
  • M: pas
  • M: doit se mouvoir
  • Not in M
  • M: on cherche
  • M: déterminations internes
  • M: & rien d’externe n’agissant sur lui, il est absolument impossible, même à Dieu, l’unique fondement de prédiction.
  • Marginal summary: L’attraction ne peut être une propriété inhérente, ni donnée de Dieu à la matiére
  • #M3 #M13: puisque l’attraction étant, selon les Newtoniens, une propriété qu’il a donnée à toute la matière, il pourroit prévoir ce qui doit arrriver en conséquence de cette propriété; car, outre que cette supposition est inadmissible par la doctrine des essences Ch.
  • M: Il suit de tout ceci que la direction, & la vitesse du corps attiré de dépendant ni de sersdéterminations internes, ni d’aucune cause externe qui agisse immédiatement sur lui, l’attraction n’est point une cause recevable, puisqu’elle ne contient rien par où un Etre intelligent (sans en excepter même le Créateur), puisse comprendre, pourquoi la vitesse & la direction, qui sont ici les déterminations de l’être qu’on considère, sont plutôt telles, qu’autrement, car c’est lá ce qui distingue une cause suffisante d’une cause insuffisante (§. 9 & 10.) [Paragraph summary: Raisons qui empêchent d’admettre l’attraction pour cause des Phénomènes] Il ne faut dont point se laisser séduire par la facilité avec laquelle les phénomènes s’expliquent par l’attraction, car il n’y a point d’effet qu’on n’expliquât facilement, s’il étoit permis de supposer des causes selon les besoins, sans se mettre en peine de prouver que ce qu’on suppose n’est point contraire au principe d’une raison suffisante (§.61). C’est par un semblable abus que les Scholastiques étoient venus à bout d’expliquer tout en aparence, & de ne rien expliquer en effet, car plus on se croit avancé dans la connaissance des mistères de la nature par cette voie, & plus on est loin de la vérité; ainsi malgré l’autorité des Philosophes respectables qui expliquent la plupart des effets naturels par l’attraction, vous ne devez la regarder que comme un phénomène dont il faut chercher la cause, & qui ne peut lui-même rien expliquer, ceux qui en ont fait un autre usage on aquis par leurs talens le droit de se tromper, mais vous, qui n’aurez peut-être jamais leur génie, j’ai voulu tâcher du moins de vous garantir de leurs erreurs, en vous faisant voir que l’attraction, quand on la regarde comme une propriété de la matiére, est contraire au principe de la raison suffisante, dont vous ne devez jamais vous écarter. [Marginal summary: L’Attraction n’est qu’un phénomène dont il faut chercher la cause.]
  • M: Puisque selon ce principe tout ce qui est,
  • Not in M
  • M: action immédiate
  • Not in M
  • M: Marginal summary: Conclusion précipitée en faveur de l’attraction.
  • M: de l’attraction
  • Not in M
  • Not in M
  • Marginal note: Keill’s Animal Secretion.
  • M: Il faudroit pour tirer légitimement cette conclusion, connaitre toutes les façons dont la matière peut être mue, & tous les effets qui peuvent résulter de ces mouvemens diverses, mais les seules expériences de l’électricité suffisent pour nous faire sentir combien nous sommes encore éloignés d’une telle connaissance, dont notre Etre n’est peut-être pas même susceptible. [Marginal summary: Les phénomènes de l’électricité font voir la fausseté de cette conclusion. ]Ces expériences de l’électricité nous font voir, quels effets singuliers peuvent être produits par le moien des matieres subtiles, quoique la façon dont elles sont emploiées pour les produire soit inexplicable pour nous, car ces matières se font apercevoir sensiblement dans ces expériences, & cependant celui qui voudroit expliquer méchaniquement par le moien du mouvement, & d’une matière quelconque les phénomènes de l’electricité, entreprendroit un problème beaucoup plus difficile que celui d’expliquer méchaniquement le cours des Planètes; car il regne une grande uniformité dans les phénomènes astronomiques, au-lieu que ceux de l’électricité sont variés presque à l’infini; je ne crois cependant pas qu’aucun Philosophe ôse en conclure, contre le témoignage de ses sens, qui lui font voir & sentir la matière électrique, qu’il est impossible que les phénomènes de l’électricité soient opérés méchaniquement, ce qui doit vous faire sentir combien ce conclusions, par lesquelles les Philosophes tranchent le nœud qu’ils devroient délier, sont précipitées, & combien il seroit peu Philosophique de se décourager, & de renoncer à expliquer méchaniquement les phénomènes dont on ne peut trouver encore la cause méchanique, car il viendra peut-être un tems ou l’on expliquera en détail les mouvemens & la nature des fluides qui opèrent les phénomènes qu’on attribue à l’attraction, & c’est une recherche dont tous les Physiciens doivent s’occuper. [Marginal summary: On doit chercher la cause méchanique des effets qu’on attribue à l’attraction]
  • Not in M; reordered version in §391 in M
  • Marginal summary:Expérience faite au Perou par M. Bouguer sur le fil à plomb.
  • Marginal note: Il faut rechercher la cause méchanique qui opére les Phénoménes qu’on attribue à l’attraction.

How to cite:

CHAPTER SEVENTEEN, Version L. In: Du Châtelet, Émilie: Institutions de physique. The Paris Manuscript BnF Fr. 12265. A Critical and Historical Online Edition.
Edited by Ruth E. Hagengruber, Hanns-Peter Neumann, Aaron Wells, Pedro Pricladnitzky, with collaboration of Jil Muller. Center for the History of Women Philosophers and Scientists, Paderborn University, Paderborn. Version 1.0, October 7th 2024, URL: https://historyofwomenphilosophers.org/dcpm/documents/view/chapter_seventeen/version/l/rev/1.0